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L'alibi


Joailes

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Il collait des étiquettes sur des navets, dans une vieille bibliothèque où il n'y avait même pas mon dernier roman, - l'échelle n'était pas assez haute forcément -, on m'avait reléguée sous le toit où quelques livres de guingois faisaient de l'ombre sur mon ombre ils étaient en grand nombre même les kiosques n'en voulaient pas, d'ailleurs les kiosques disparaissaient à la vitesse d'un vol pour le Maroc, quant aux romans de gare ils pullulaient avec des robes gaies pour l'été dans un quartier où l'on n'en fait pas, justement.

 

Il avait pris perpète pour un crime qu'il n'avait pas commis mais qu'il aurait pu perpétrer si seulement son chien n'était pas mort au même moment, un soir de cadeaux exactement.

Ce fut son plus horrible Noël, il avait dû sortir par grand froid dans la neige pour faire un trou avec une pelle et sous la neige il y avait de la terre, il ne le savait pas, et il ignorait aussi que les chiens puissent mourir.

Des bien intentionnés l'accusèrent aussitôt : il avait une pelle et même un râteau et une mine de pâte de tubulaire - à deux tentacules – des ragots secs comme des fagots aux bouches à grosses langues jusqu'aux oreilles, retour à l'envoyeur avec quelques fioritures, des vertes et des pas mûres ;

dans le désert c 'est le téléphone arabe qui fonctionne et je trouve marrant qu'il y ait toujours du réseau dans le sable et les sonotones et puis toutes ces pinces de crabes où la langouste n'a pas cours, - mets apprécié qu'il faut impérativement manger chez l'impératrice, peu importe laquelle, pourvu qu'elle ait de belles cuisses

ça fit des mains courantes et même bien baladeuses, presque errantes sur les croupes charmantes des

pourvoyeuses de preuves récompensées pour leurs états de service.

 

A l'époque, en effet il avait souvent pensé étrangler celui qui le battait avec un nerf de bœuf mais il ne l'avait pas fait ; la justice a dit que oui pourtant et on l'a enfermé avec un collier et une chaîne, il s'est dit « ça y est je suis réincarné en mon chien » et il ne savait pas s'il devait s'en réjouir ou avoir du remords.

Il s'est repenti violemment et à plusieurs reprises.

 

Pour faire une histoire courte ce n'est pas facile ; d'une chose à l'autre, on passe du coq à l'âne et voilà tous les animaux de la ferme qui sonnent l'alarme, je me souviens d'une poule qui picotait du pain dur en caquetant avec sa cousine, c'était de jeunes poules elles parlaient cuisine et puis poulets il y avait aussi un paon qui portait jupon, efféminé sans doute, un peu orgueilleux sur la route de mes déroutes.

Je lui jetai un gant et il se repentit même qu'il devint mon meilleur ami.

Quand même !

Je venais d'être renvoyée de la bibliothèque avec toutes mes mouches à nourrir et un gros sentiment d'échec je n'aurais pas du être écrit vain , ni le dixième du quart de mille qui encombre les rayons, je n'aurais pas dû être, peut-être mais qu'y puis-je ?

Le boiteux libéré pour excellente conduite venait d'être casé, nouveau contrat pour les embauchés, haut les mains, - forcément il avait l'habitude - , il ne savait pas écrire mais quand il parlait de lui, tous les poètes de l'atelier attenant étaient inspirés par sa lumière diffuse ils sifflaient de contentement ;

en plus il ne boitait pas, il avait une plume dans les cheveux, il savait faire le café comme personne et on aimait son côté féminin , ses histoires d'étiquettes mal collées qui changeaient de couleur dans l'air du temps, son côté bien masculin qui ne savait pas consoler ses chaussettes orphelines ni laver son assiette de porcelaine fine, tout cela plaisait à tous les étages et j'ai vu des hyènes sourire après des années de sevrage.

Je ne lui en ai donc pas voulu, d'ailleurs lui non plus puisqu'il n'en a rien su ; je suis allée à pôle emploi histoire d'avoir un numéro et c'est là que j'ai su que je ne savais rien faire, mais vraiment rien, pas même un numéro ; savais-je coller des étiquettes, me demanda-t-on avec effort, derrière un guichet en plexiglas où, en effet, les microbes n'ont pas leur place eh bien non, je n'ai pas de salive, répondis-je je mange trop d'olives. D'ailleurs, je suis tombée d'un olivier …

Je me suis mise à boiter, on m'a engagée sur le champ et comme j'aimais bien la campagne, j'ai planté des pommes de terre en pensant à Eve qui ne voyait que des vergers et à Adam qui n'avait qu'elle à aimer avec son parfum acide et sucré

Pendant ce temps, le boiteux jouait du tambour à la bibliothèque sur des livres tombés aux oubliettes depuis la vie des rats

Un matin, ce fut fatal, il reçut sur la tête mon dernier roman jeté comme un malpropre avec d'autres refusés par des éditeurs blasés et pressés d'aller vivre leurs propres histoires sans pouvoir les écrire,

toutefois

Assommé devant mon talent -ou par la chute du livre sur ses lobes frontaux- il s'écroula dignement avec du sang sur sa belle blouse grise.

Pas de bol, à peine libéré, prendre un de mes livres sur le nez, c'était pas délibéré.

Ne serait-ce pas le crime parfait  d'un écrivain qui se venge d'un lecteur inutile ?

 

J'ai un alibi.

J'écrivais sur A.P.

À vingt deux heures zéro douze quand est mort le boiteux.

Et ici les voisins pourront témoigner de l'arôme du palier j'habite au douzième dans une tour haut perchée sur un espace vert en train de jaunir avec la sécheresse il faut avoir des jumelles pour imaginer des triplés coquelicots, des gants pour relever des empreintes mon pote était détective privé j'adorais ses petites histoires tellement ordinaires. 

J'ai toujours rêvé d'écrire un roman policier avec au moins cinq cadavres, tout en cuisinant mes ragoûts au poivre, mais la gourmandise l'emporte !

Je n'avais que trois quarts d'heure pour écrire ce petit navet, mon ragoût a bien mijoté, je vais me régaler , n'hésitez pas à vous renseigner, le navet n'est pas fade du tout, son goût est subtil, avec des pruneaux et du cochon, c'est drôlement bon !

Je le savoure les yeux demi-fermés, je me félicite – qui d'autre le ferait mieux que moi ? - je n'ai rien oublié surtout pas le sel et j'avoue … je préfère mon ragoût siroté à la cuillère que ce texte idiot qui erre par ici …

Je tairai, par pudeur, mon nom de plume.

(1er septembre 2022)

 

 

 

Modifié par Joailes
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