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Le pantinfect*


Joailes

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Un vieil oncle revenu d'un drôle de pays, avait rapporté un pantin à son neveu, l'enfant.

C'était un drôle de pantin, au ventre fait de tiroirs mystérieux.

C'était un drôle d'enfant, un drôle d'oncle, un drôle de neveu.

Drôles de vies où, sans devis, chacun a payé sa facture.

Tous les dix ans, l'enfant, le neveu,

devait ouvrir un tiroir …

l'oncle était mort emportant la notice

et l'enfant grandissait entre bonheurs et supplices.

 

Souvent, les tiroirs, capricieux,

s'ouvraient à la queue leu-leu

et jetaient le temps au précipice …

 

 

 

Dans la maison petite, classée maisonnette, maison de hobbit, le chat dort depuis des décennies, gavé de croquettes et dans l'âtre se consument les amours aux yeux de braise.

Le bonheur vient et va.

Un homme courbé dans la cour petite, classée courette, carré de cimetière, trait une vache malgré son arthrite.

Les pies sont sales et depuis belle lurette la mouche s'est tue devant les anamites.

Le lavoir n'a plus la mousse des lessives mais celle des sous-bois où tout pourrit.

 

L'enfant, dans le cloître de sa chambre petite, dite chambrette, regarde un album bleu où il n'y a jamais ni vent ni tempête, des images d'îles en relief aux couleurs canari

où il a tant ri sous les caresses du soleil de midi.

Il frôle du doigt la mer qu'il n'a jamais vue en vrai.

En fermant les yeux, il sent les blessures de sel sur sa joue et l'haleine d'un mérou hermaphrodite qui joue avec son sexe, mâle, femelle, la mer se mérite, le père aussi sans doute ; il sourit malgré sa déroute, la vie est devant lui.

Il vogue sur l'océan où il s'endort souvent sur sa petite barque, classée barquette, les mains au ras des pâquerettes

Il n'a plus peur, malgré le phare flou qui tremble et fait de la buée sur ses lunettes ; chaque fois il revoit sa maison petite, classée maisonnette et sa mère qui revient pour ouvrir les fenêtres et l'homme n'est plus courbé, la cour est immense, et les vaches sont bien gardées.

Il aimerait ne plus se réveiller, rester sur cet instant mais un autre tiroir s'ouvre,

 

le pantinfect largue des rêves tout noirs,

(nobody is perfect) ;

des bombes incendient les espoirs

des armées vert de gris paradent sur des chars,

le chat dort pour d'autres décennies,

crevé par un lance-roquette

 

il n'est plus un enfant il faut faire front

refermer ces tiroirs

où après le beau temps

il ne peut que pleuvoir ;

 

 

C'est la guérilla, branle-bas de combats.

 

La vie vient et va.

 

Le tiroir de la paix est tombé sous les balles, l'enfant qui voulait le garder sous son gilet pour la fin, pleure dans le tiroir des larmes qui débordent,

celui où jamais personne ne le borde et où déjà il a tant pleuré.

Dehors, l'homme est couché sur la courette où la vache à lait rouge sang en a fini avec son arthrite définitivement.

 

L'enfant ne comprend rien.

Il a peur, soudain.

Il se lève, la bouche pleine de grenades et tire sur le pantinfect.

 

Le dernier tiroir s'ouvre …

 

Dans la grande maison un chat vient de naître, un chaton bleu comme une pelote de laine angora ronronne pour la

première fois …

Tricotez de la layette bleue, c'est un garçon, crie-t-on par les fenêtres !

 

Des hommes et des femmes rient au milieu des vaches rousses, les pies ont des costumes assortis, sortis à peine de la blanchisserie et les rouges-gorges s'égosillent ;

l'amour rassemble ses escadrilles c'est le premier tiroir, bordé de dentelles, les lèvres à l'abreuvoir

 

les lilas embaument, il en faut des printemps pour devenir un homme et combien de tiroirs ?

 

Toute sa vie défile, entre corbeaux et colombes, son album bleu a perdu bien des pages et a jauni comme une vieille pomme.

 

L'homme courbé dans la cour petite, classée courette, qui trait une vache malgré son arthrite, c'est lui à présent.

 

Il a ouvert le dernier tiroir du pantinfect.

 

Ce matin, il a mis du soin dans sa toilette et dans sa chambrette il n'y avait plus rien sauf, peut-être,

dans un coin, un fantôme, le meilleur pour la fin.

Et il est mort heureux, l'enfant, le neveu, dans le dernier tiroir du pantinfect, troué de balles comme lui.

(nobody is perfect)

(joailes – mai 2022)

 

* mot que vous ne trouverez pas encore cette année dans le dictionnaire – mais plus tard, peut-être – qui désigne un pantin infect, jouet à tiroirs qui s'ouvre parfois inopinément, distribué aux enfants à leur naissance et décide de leur vie, mais qui veille à ce que la mort ne laisse pas trop de regrets.

 

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