~ Les commentaires sur les sujets sont uniquement visibles des membres de notre communauté ~
Rechercher dans
  • Plus d’options…
Rechercher les résultats qui contiennent…
Rechercher les résultats dans…

Doit contenir au moins 3 caractères.

Aller au contenu

Le lecteur


Sujet tropical

Messages recommandés

Je publie cette prose ici, à dessein, d'aucuns me disent qu'ils lui trouvent une vraie poésie. Je vous laisse le soin d'en juger. J'aimerais que vous n'hésitiez pas à me transmettre votre experience de lecture sincère et sans détour. Que cela vous semble lourd, sans interêt, ou que cela vous parle, vous happe quelques instants. J'apprécie la sincérité et je ne suis pas en sucre 😉 Je ne fais que des tentatives, et la critique franche peut ouvrir de nouvelles portes.



Le Lecteur

-------------
 

Lecteur j’ai été, lecteur je suis, lecteur je serai ! 
 

Lecteur pluriel, de toute évidence, au gré des époques et des leçons qu’apportent la vie.
 

Je suis le lecteur-adorateur, qui loue les faits de saints auteurs, ceux dont les grands noms résonnent de siècle en siècle et que je lis en capitale. Je m’agenouille, je prie, j’ouvre un livre et je lis pour moi, parfois j’entonne le cantique à haute voix, d’autres fois je psalmodie avec passion les mots de prophètes qui, me semble-t-il, furent écrits pour moi et moi seul. Leurs mots sont d’or, leurs livres, de pierre écrasante. Ils sont tombés du ciel, en blocs, et sont mes tables de la loi. Je n’ai d’autre raison que ma foi, qui me souffle cette vérité : ces livres ne furent pas écrits, ils furent créés dans la plus pure simplicité, naquirent du rien, du tout divin, d’une volonté supérieure, afin d’offrir à nos yeux et à nos coeurs, les plus belles et les plus spectaculaires mises en forme de l’infini chaos du monde. C’est ainsi qu’ils me guident dans la vie, et où que j’aille, j’apporte toujours un morceau de mon temple, ou bien je m’évertue à  pieusement le reconstruire, je dispose le verbe autour de moi, sur les meubles, dans l’entrée, et sur les tables de nuit. Et même, lorsque je sors, j’emporte un ouvrage dans ma poche intérieure, juste au-dessus de mon coeur, là où le chrétien dévot porte sa bible.
 

Je suis le lecteur-consommateur, qui vit d’une époque où tout s’achète, se vend, où le désir se crée, et où chacun de nous se presse, s’essore, s’esquinte à consommer. Cela me dégoûte parfois et pourtant, l'honnêteté me pousse à la confession : “j’achète, j’achète, j’achète…”, au-delà de toute raison, dès que j’entre chez un bouquiniste, que je visite un libraire ou qu’une flânerie me mène au devant d’un étal de livres, sur un marché ou au détour d’une braderie. Je tombe amoureux d’un titre, d’un nom, d’une couverture, première ou quatrième, d’une première phrase ou d’un couple de mots que je saisis au hasard. Et l’affreux dans toute cette affaire, c’est que, de retour chez moi, la vie quotidienne me happe à nouveau, ou me sert d’excuse lorsque souvent l’envie même de consommer le livre à déjà passé, d’elle-même, et que le courage de le lire vraiment vient à me manquer. Et me voilà donc qui ne lit pas mes achats, je range en bibliothèque la récolte de mes fièvres passagères et maniaques, je laisse les pages de ces livres, objets du désir fugace, jaunir lentement, abandonnées à la merci de la poussière et du temps. J’aimerais vous dire que mes étagères ne comportent que, tout au plus, trente pourcent de livres que je n’ai pas lus, proportion qui, à l’oreille, semblera raisonnable et honnête à tous. Mais pourquoi mentir ? Je plaide coupable, du délit de consommation. Face à vous, augustes jurés, j’ajoute même une circonstance aggravante, qui est alors plus de l’ordre du crime : “j’avoue m’être laissé séduire un temps par une terrible et triste pensée, qui  d’ailleurs ravage l’humanité : l’idée que le bonheur pût être lié à d’aussi féroces et vils appetits de possession. Dès lors que je m’en rendis compte, je me fis, l’impression d’être ce noble ou ce bourgeois à la bourse pleine, mais au cœur empli de triste vice. Celui-là même qui, de sa bien mauvaise foi, achetat à l’église ses indulgences, se persuadant malgré ses mauvaises consciences, qu’elles assurerait le sauvetage de son âme. Et petit à petit, le temps passe; avec lui, la vie... 
 

Mais, je suis le lecteur-amoureux. Car voilà qu’un matin, soudainement, et sans qu’on ne sache bien pourquoi, je suis comme touché par l’éclair, et je redécouvre un livre égaré, qui semble surgir sous mes yeux. Avec lui, je retrouve ce grain de passion, un temps oublié, cette histoire d’amour si prometteuse, ce rêve éveillé qui semblait s’être éteint à tout jamais. Alors je le lis enfin, sans m’arrêter… J’ai la folle ardeur de l’homme mûr, qui à la fin de sa vie, retrouverait son plus bel amour de jeunesse, me revoilà enfant, curieux, débordant d’amour et d'espièglerie. En un mot, me voilà de nouveau amoureux, je renaîs dans les pages jaunes qui me racontent et que je vis.
 

Alors, je suis le lecteur-arpenteur, qui va dans un monde où n’ont cours ni les frontières, ni les lois. Je parcours tous les pays du monde et même d’autres, je vais dans toutes les époques. J’arpente sans crainte, car je me sais protégé, je deviens en voyageant. Je suis de toutes les épopées, de toutes les actions, je ne dis jamais non à une bonne échauffourée, une bataille, une guerre, pas plus que je ne refuse les délectables impressions d’une véritable descente aux enfers. Je suis, à moi seul, tous les personnages à la fois. J’ai cent mille ans, au bas-mot, j’en ai tant vu. Et pourtant je ne m’en lasse pas, je ne m’en lasse jamais. J’en veux encore et toujours, de ce plaisir là. Je veux de nouvelles idées, je veux réfléchir et penser. Je veux, au gré des pages, naviguer ou me laisser dériver, ressentir tous les vents, des tempêtes les plus primordiales aux plus douces des brises. Je laisse les auteurs discourir, parler et réfléchir, au plus profond de moi, dans mes tripes, mes méninges, et bien souvent, je les trouve qui s’expriment librement, juste à côté de mon cœur. Ce sont mes amis, et je suis certain qu’ils me connaissent autant que je les connais moi, car nos voyages partagés sont avant tout œuvres de magie et que leur essence même est de ne pas reconnaître l’impossible. Je suis le curieux arpenteur des vallées, des montagnes, des steppes, des toundras tout autant que du cœur des hommes, comme autant d’espaces infinis. Je suis le libre découvreur de monde. 
 

Enfin, je suis le lecteur-partageur, et mon souhait le plus cher est alors de partager les plus beaux sorts que je connaisse, de lire à d’autres ces magnifiques incantations, et d’être pour eux, le passeur de l’éternelle magie des mots, qui, seule, permet l’accès aux si majestueuses contrées de l’en-dedans. Je suis le papa qui lit pour sa petite fille, partage ses premiers voyages, ses premières joies et ses questions. Je guide avec passion, patience et écoute. Je ne lui  apprends  pour ainsi dire rien, je me contente d’être là. Et je ne lui confie qu’une seule et unique chose, car je n’ai rien de plus important à lui apprendre. Je lui confie le secret le plus précieux et dont il nous arrive tous de douter : je lui dit qu’elle peut aller sans crainte sur le chemin de la vie, car elle en sait déjà bien plus qu’il ne faut pour entreprendre son propre voyage. Et j’ajoute dans un sourire, un simple conseil, une invitation,  je lui dis : “Prends un livre”. Ainsi, je sais que, même lorsque je serai parti, cette petite fille, cette adolescente, cette femme qui n’aura de cesse de devenir, à tout âge de sa vie, ne sera jamais véritablement seule. Cette pensée me suffit.
 

Modifié par Sujet tropical
  • Merci 1
Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

×
×
  • Créer...