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Un homme transparent (chapitre 13)


Marc Hiver

Messages recommandés

Citation

 

Merci d'avance cher(e)s ami(e)s de vos retours critiques.

Pour mémoire, les 12 premiers chapitres ont été publiés sur ce forum le 16 décembre 2020, les 12 et 24 janvier, les 2, 10, 18 et 27 février, les 6, 16,23 et 31 mars, le 4 mai 2021.

 

 

UN HOMME TRANSPARENT - Chapitre 13.

 

 

J'avais décidé de faire avec, comme on dit en psychologie pour signifier qu'on ne vous guérira pas. Faire avec mon handicap. Moi, j'étais comme ces mâles atteints d'alopécie et qui masquent leur calvitie sous des postiches et des chapeaux. J'avais perdu tous mes poils et je découvrais trop tard l'utilité de ces follicules. Malgré ce qu'affirment les tenants de l'épilation, rien n'égale la pilosité. L'affichant avec fierté, l'honnête homme, sans sa fourrure personnelle, se croirait indigne d'en porter le nom ! Elle protège du froid et du chaud, réjouissant le cerveau, élevant l'âme. Par grosse chaleur, la vertu des poils retient la sueur près de la peau, ce qui permet obligeamment d'hydrater l'organisme et de le maintenir à une bonne température, inspirant un sentiment de confort, voire de déréliction sensitive. Un coup de froid et ces roseaux fragiles se hérissent pour conserver une fine couche d'air tiède qui ravit en esprit le quidam dont la modernité ne s'offusque pas de ce soi-disant archaïsme.

 

Je me souviens de mes poils pubiens délicatement incurvés comme des cheveux frisés couvrant des glandes sudoripares dont j'usais en phase de séduction. Pourquoi les hommes se raseraient-ils le scrotum ? Certains invoquent des raisons esthétiques afin d'afficher des testicules soyeux et lisses, bien plus harmonieux aux yeux de leurs conquêtes. Mais sous les aisselles, ces poils disgracieux séparent la transpiration, aident à la ventilation et éloignent les bactéries. J'ai la nostalgie de ce temps que j'arborais une toison où des femmes se blottissaient en les peignant avec les doigts.

 

Et puis mon alopécie généralisée ressembla à cette chute qui accompagne souvent un élément déclencheur de stress, en l'occurrence ma dissidence de l'humanité des velus. Par ailleurs, j'avais perdu le visuel de ma peau, des muscles et du squelette et un algorithme m'avait annoncé que j'en perdrais non seulement le toucher, mais que l'évolution morbide de mon état entraînerait leur disparition ferme et définitive. Il ne me resterait plus que la tripaille suspendue à un cintre surplombé par un masque humain, dernière trace de mon physique d'autrefois. Je me métamorphoserais définitivement en un étrange pantin flasque.

 

En attendant, je faisais avec. J'avais institué auprès de mon entourage l'idée que je souffrais d'une maladie génétique rare qui m'obligeait à prémunir mon épiderme de la lumière et des rayons du soleil. J'avais admis, pour compléter le portrait, une pelade, d'où la perruque et la casquette. On m'avait plaint et puis on s'y était habitué. J'en avais parlé aussi à mes étudiants pour éviter leurs regards inquisiteurs et amusés. Mon handicap appartiendrait à ma personnalité et je l'assumais plutôt bien.

 

Pour qu'on ne meure plus autour de moi, il ne fallait pas trop remuer ce qui m'était arrivé. Le médecin, Juliette, l'adjudant-chef Hugo, ma gouvernante et le policier de Paris me rendaient prudent. Pourtant, j'avouerais que je me mentais à moi-même. Juliette, par exemple, j'avais très vite percuté qu'elle n'était plus aveugle. Une opération tardive, grâce aux progrès de la médecine, lui avait rendu la vue et je l'avais entendue en discuter avec ses deux comparses. Et quand elle m'avait invité chez elle à batifoler, quelques lapsus me l'avaient confirmé alors qu'elle s'était présentée à moi en aveugle lorsque je l'avais abordée enfin à L'Escale. Des compliments sur mon anatomie qui ne relevaient pas d'un simple rapport visuel, justement à cause de ma transparence. Avant de mourir, elle avait donc constaté la vérité, ce qui ne l'avait d'ailleurs pas traumatisée immédiatement. Ayant saisi ce qu'elle savait, je l'aurais un peu-beaucoup serrée dans mes bras ? Je l'aurais étouffée sans le vouloir pour arrêter son regard ? Je serais pris en étau dans ce tropisme du cacher/montrer qui m'habiterait désormais ? Comme ce toubib que j'aurais poussé un peu violemment par terre quand il avait cherché à me toucher pour vérifier son premier constat ? Je n'aurais pas non plus supporté son examen et sa chute avait-elle provoqué sa crise cardiaque ? A priori, l'anévrisme du gendarme Hugo, je ne pouvais le deviner, donc m'en attribuer le mérite. Quoique. Parce que le mot transparence laissé sur son bureau par le médecin, j'avoue que c'est moi qui l'avais écrit !

 

Tout se passait comme si je sortais d'une amnésie partielle traumatique. Le choc subi avait-il induit une dichotomie psychique entre des souvenirs liés au quotidien et l'absence de ma mémoire en ce qui concernait des réactions que j'aurais eues vis-à-vis de ceux qui découvriraient le trouble physique dont j'étais atteint ? Je me souvenais du médecin, de Juliette, de mon audition par l'OPJ Hugo, mais j'aurais occulté les détails de ces rencontres, surtout s’ils dénotaient des pulsions qui m'auraient poussé à accomplir des actes répréhensibles ? Oui, la contradiction entre révéler ma transparence et la dissimuler était-elle à l'origine de crimes de mort sans intention de la donner ?

 

Je n'avais pas tué délibérément le médecin, Juliette et le gendarme. Je n'aurais eu que des retours disproportionnés quand ils s'étaient approchés de ce que je souhaitais pourtant dévoiler ! C'était flou, c'était fou, mais c'était possible. Meurtrier en série malgré moi, en proie à une machine de défense psychologique implacable afin de me préserver des conséquences d'une révélation de mon état ?

 

Et puis j'avais accepté une découverte qui avait sans doute tout déterminé. À L'escale, j'avais assisté au manège des trois compères qui me lorgnaient de leur tabouret de bar en buvant une bière et en mangeant la charcutaille. Juliette n'avait pas deviné que je l'avais reconnue. Leurs conciliabules, je le sentais, portaient sur ma drôle de dégaine. J'avais repéré que, sur les sets de papier déposés sous les verres et les assiettes, ils griffonnaient le fruit de leurs cogitations ludiques. Après leur départ, je m'étais discrètement emparé des précieux documents, avant que la patronne ne les jette à la poubelle.

 

Un jeu de rôle. Les trois plaisantins s'amusaient à imaginer des scénarios de meurtres parfaits et notamment, à mon propos, à échafauder un plan de suicide altruiste, comme je les ai entendus prononcer cette expression. Dans leurs élucubrations, je me débarrassais d'abord du docteur, puis de Juliette avant d'induire la mort du gendarme. Le mobile avancé consisterait en mon refus d'assumer mon manque de peau devant des tiers. Ainsi, ils avaient émis l'hypothèse d'une transparence éventuelle a contrario de l'accoutrement derrière lequel je la masquais. Finalement, ils s'approchaient de la vérité.

 

Le voile de l'amnésie se déchirait un peu plus. Mais dans le même temps, ce que je supputais demeurait ambigu, contradictoire. Je n'aurais pas pris conscience du bouleversement psychique qui se serait produit à l'occasion de l'évènement traumatique dont je n'avais pas mesuré toutes les implications ?

 

Mon parcours se réduisait-il en ce lieu commun d'un être monstrueux devenu criminel ? Est-ce que je rejoignais cette longue cohorte des personnages de la littérature fantastique et de leur dédoublement existentiel ? Quant à la trame narrative, j'aurais découvert le complot bien innocent des trois habitués de L'Escale qui avaient mis dans le mille ? Et, du coup, réalisé de facto le scénario imaginaire de ce suicide altruiste ? Certes, j'avais attrapé au vol quelques bribes de paroles où le médecin avouait sa faiblesse cardiaque ; Juliette raconter la fin de sa cécité, ce qui m'avait été confirmé par quelques lapsus commis par elle ultérieurement quand j'aurais repris contact avec elle. Et bien sûr, quid du pandore ? Comment induire une rupture d'anévrisme et, qui plus est, avec un retard à l'allumage ? Bref, j'aurais bousculé trop fort le toubib et serré fortement Juliette.

 

Si mon histoire était rapportée dans une de ces émissions dédiées aux chroniques criminelles, je ne serais pas moi-même convaincu par sa vraisemblance. Cela clignotait dans mon cerveau une nouvelle fois, entre imaginaire et réalité avec ce déficit symbolique des mots pour le dire.

 

— J'ai peur. Je suis seul.

— Qu'est-ce que tu crains ? La peur qu'on vienne te déranger dans ton for intérieur ? Tes neurones grincent ? Ils ont toujours grincé ! Enferme à clef ton cauchemar. Ferme les yeux. Vérifie dans ta conscience.

— Et mon inconscient ?

— Et ton inconscient. Allez, détends-toi.

— Je ne m'endormirai pas. J'ai peur.

— Éteins tes pensées. Tu dois te reposer avec ce qui t'est arrivé et qui n'est pas banal. Il ne se passera rien. Il ne peut rien se passer : ils sont tous morts. Et toi, tu ne présentes pas de mobile apparent. Ne crispe pas ton cerveau. Tu vis dans un monde administré par la raison et ce qui t'atteint ne s'apparente pas à un complotisme de bazar. Dors, mon petit Marc, dors.

— Et si je devenais complètement fou ? Si on m'internait ? Qu'on me soigne. Qu'on purge tout ce qui grouille dans la tête, toute cette vermine imaginaire. M'accrocher à mes souvenirs, d'avant et d'après la transparence ? Les répéter inlassablement pour qu'ils ne fichent pas le camp. Le médecin de campagne, Juliette et Hugo le gendarme de Saint-Pierre-Église dans la Manche. Comment pousser à terre mortellement un cardiaque en connaissant simplement son insuffisance ? Et serrer de trop près une femme pendant l'amour ? Et que penser des ruptures d'anévrisme ! Je me nomme Marc H. et je suis transparent.

— Transparent ?

— Oui, mon épiderme, mes muscles, mon squelette.

— C'est un fait, on ne revient pas dessus. Admettons un déficit dans ta narration, un manque de termes justes pour la raconter. Mais continue, continue sans t'arrêter.

— Je me nomme Marc H. et je suis transparent. J'ai peur d'avoir tué, directement et indirectement, sans le vouloir, trois des protagonistes de mon aventure.

— Pourquoi ?

— Parce que j'allais leur révéler — ou ils avaient démasqué — ma nouvelle fragilité. Mais je parle tout seul !

— Qu'est-ce que tu inventes ? Non, tu ne deviens pas barjot, on appelle cela un monologue intérieur. On se fait tous un dialogue, comme ça, dans la tête. Rien de plus normal, de plus naturel. Sinon, mon vieux, qu'est-ce qu'on s'ennuierait dans la vie, tu ne crois pas ? Un interlocuteur imaginaire, si tu préfères. Afin d'ordonner tes idées. Comme un rêve, mais éveillé. Allez, il faut dormir maintenant. Tout va bien. Tu verras, tu dépasseras la contradiction qui te mine et tu te réveilleras frais et dispos.

 

Tes aveux ne suffiront pas, mon pauvre Marc. Comme s'il suffisait de se mettre à table pour dire la vérité ! Et les preuves matérielles, mon gars ? De nombreux facteurs personnels troubleraient de fait la véracité d'une déposition, d'une confession d'un témoin suspecté d'un délit ou d'un crime. Pas besoin de torture pour t'extorquer une salade de mots où tu t’accuserais devant les OPJ et les magistrats. De même, ta soupe subjective d’innocence ou de culpabilité ne trompera pas ceux qui s'inquiètent lors d'un procès de se faire renvoyer dans les cordes par des avocats sagaces.

 

Comment expliquer la rupture d'anévrisme d'Hugo ? À force d'à-coups de la pression sanguine générés par les battements du cœur, la paroi très fine et fragile du sac de l'anévrisme finit par se rompre. Cet événement entraîne une hémorragie intracrânienne qu'on définit alors d'accident vasculaire cérébral de type hémorragique. Mon triste sire, tu te crois tout puissant pour avoir réussi, lors d'une unique audition et face à un enquêteur chevronné, à provoquer cette ultime pression sanguine qui aurait déclenché — et pas sur l'instant — un AVC ?

 

Et la mort de Marcelle, ta gouvernante, mon vieux mytho ? Tu n'étais pas là quand elle est décédée. Quant au gel capillaire, on l'a l'écarté comme cause du décès ! Tu n'inventeras pas un autre produit que tu aurais ajouté dans le flacon ?

 

Et la mort de ton Italienne ? Elle est morte de quoi, l'Italienne ? Tu l'aurais étranglée en la poursuivant dans la rue après lui avoir refusé ta porte pour justement ne pas la contaminer par ta simple présence ? Mais tu divagues, mon pauvre vieux !

 

Antoine Brassy, dont tu n'as appris l'existence que beaucoup plus tard, qui t'aurait déniché avec le logiciel d'analyse criminelle Anacrim, par quel retour vers le passé l'as-tu fait disparaître de la surface de notre Terre ? Tu vires parano pour te hisser à la cause efficiente de ce sur quoi tu n'avais aucun pouvoir !

 

J'oubliais : après le décès de Marcelle, ta gouvernante, tu aurais téléguidé l'accident de voiture du policier qui enquêtait sur elle ? Trop fort, l'ami ! Et la psychiatre, tu l'as tuée après lui avoir révélé de quoi il retournait ? Tu pousses le bouchon un peu loin ! Aucun juge d'instruction ne corroborerait l'enquête et, d'ailleurs, aucun enquêteur ne risquerait le ridicule d'en proposer les conclusions au parquet. Non, je ne suis pas une voix. Tu souhaiterais, en plus, être schizophrène ? Ça ne te suffit pas, ta transparence ?

 

Mon gars, je reconnais que tu nages dans la merde d'un point de vue psychique. Et je comprends que tu tentes de tout rationaliser. Rationaliser ? Oui, un processus d'explication et de justification d'une défense ou d'un délire visant à avancer une synthèse logique pour masquer un conflit intérieur lié à l'hécatombe qui entoura l'apparition de ton symptôme. Et ceci explique peut-être cela.

 

Finalement, tu rêves et tu l'enrobes dans une reconstruction a posteriori : comme ces rêveurs qui intègrent lors du réveil à leur insu dans un développement cohérent les éléments disparates de leur rêve. Eh bien ! toi, mon petit gars, c'est kif-kif. En proie aux morts brutales du gendarme, du policier et du psychiatre, tu t'es autoproclamé enquêteur de ta propre histoire. Mais tu saisis, vieux gars, qu'on ne peut pas être juge et partie, sauf dans les séries policières.

 

— L'ami, il s'impose que tu te recentres sur l'essentiel : ta transparence. Qui ? Pourquoi ? Comment ? Je te concède que tu vis terriblement seul, mon pépère, et je te plains sincèrement.

— Si tu n'es pas une voix, qui es-tu pour t'octroyer ce privilège d'investir mon entendement ?

— Rien que l'autre de toi-même. Je te l'ai déjà dit : un monologue intérieur.

— Et l'algorithme qui m'a interpellé ?

— Eh bien ! un algorithme d'assistance aux internautes en difficultés. Lui c'est lui et toi c'est toi. Tu piges ? Allez, repose-toi. Que tu te requinques pour la suite.

— Pour des rebondissements ? Des péripéties ?

— Reste calme mon garçon et qui vivra verra, car tu veux continuer à vivre, non ?

— Tu penses que je devrais me suicider ?

— Moi, tu sais, je n'extrapole pas. Je dis ça, je ne dis rien.

— Tu me prends vraiment pour un petit pauvre type ?

— Pourquoi ? Je devrais ?

— À toi d'en juger. Bon, je m'endors, mon frère.

— Voilà ce que tu as de mieux à faire, petit bonhomme.

 

 

Modifié par Marc Hiver
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