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Le piton-Algérie 1957


Zanoni

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Entre la masse minérale du djebel Takouch et les pentes boisées de l'Imouline- Taourt tapissées de lauriers roses et blancs et plantées de figuiers, la vallée s'élève jusqu'au village de  Tergret, où s'est installée la sixième compagnie. Puis elle vient mourir dans un amoncellement de rochers qui se perdent, au sud, vers les monts Tabors.

 

L'école du village, opportunément construite dans les années 1954-1955, abrite maintenant le PC de la sixième compagnie du 57e RI; Les salles de classe sont occupées par le lieutenant et les sous-officiers. La troupe, dont je fais partie, est relèguée sous deux grandes tentes provenant des surplus américains. Les écoliers font eux aussi du camping.

 

Un terrain caillouteux descend en pente douce jusqu'au village constitué par une douzaine de mechtas dominées par la blanche et moderne villa du Caïd.

 

Je suis arrivé dans ce camp au premiers jours de juillet 1956 après un passage de quelques jours à base arrière de Cap Aokas. J'y suis resté six mois avant d'obtenir une  permission exceptionnelle de huit jours.

Un amusant souvenir me revient de ce séjour dans cette base qui accueillait les nouvelles recrues juste débarquées de France : Plus de la moitié des nouveaux arrivants était victimes de violente coliques. Des feuillées avaient été creusées, en direction de la plage, à environ cent cinquante mètres de la cour et des bâtiments viticoles. Une file ininterrompue de soldats s'y précipitait. Ceux qui couraient pour aller se soulager, avant qu'il ne soit trop tard, croisaient ceux qui en revenaient les mains agrippées à leur pantalon. Bousculés par les nouveaux arrivants, ils n'avaient pas eu le temps de s'habiller correctement. Moins d'un quart d'heure plus tard, ils repartaient en courant vers cette tranchée libératrice. La tranchée d'une trentaine de mètres et qui servait de fosse d'aisance à quelques centaines d'hommes était grossièrement isolée des regards par une fragile haie de roseaux hâtivement et maladroitement édifiée. En

ribambelle, des gamins moqueurs venaient coller leur visage à cette cloison dérisoire, afin de profiter du spectacle.

N'ayant fort heureusement pas eu à souffrir de cette maladie, mes visites en ce lieu répugnant étaient rares. Dans la mesure du possible, je choisissais les moments les moins fréquentés et exempts de ces spectateurs à la curiosité étonnante.

Il n'en reste pas moins que cette maladie était un véritable fléau. En quelques jours, de jeunes soldats maigrissaient spectaculairement et leur visage prenait une affreuse couleur verdâtre..

Un grand nombre dut être rapatrié. En quelque sorte, ils étaient sauvés de la merde par la merde !  Un genre nouveau d'homéopathie.

 

Au camp de Tergreit, par l'intermédiaire du Caïd, le lieutenant , un jeune saint-cyrien strict, mais correct, a passé un accord très simple avec le village. Si le camp n'a pas de problèmes avec le village, le village n'en aura pas avec le camp.

 

Sans nos armes et sous a surveillance d'une sentinelle, nous avons de temps à autre la permission de nous rendre au village pour une heure ou deux. Cette escapade nous permet d'oubler un instant la lourdeur d'un univers exclusivement masculin.

 

Une source d'eau fraîche coule u fond du village, en contrebas de la piste poussiéreuse qui conduit, par Souk el ténine, à Bougie ou Kerrata et Sétif . Nous y remplissons nos bidons et  admirons les jeunes filles Kabyles qui viennent y puiser l'eau pure et limpide coulant généreusement dans un grand bassin en pierre. Vêtues de chatoyantes robes bigarrées, elles portent avec élégance une jarre en terre cuite posée sur leur tête. De temps à autre, par un geste charmant d'un bras élevé en cercle, elles rétablissent l'équilibre instable de leur précieux chargement. Elégant mouvement qui exalte la beauté et la grâce de leur jeune corps. Elles sont accompagnées de vieilles femmes qui semblent les surveiller discrètement, sans apparente sévérité. Une foule de gamins chahuteurs et braillards nous réclament bonbons et pièces de monnaie.

 

Ces jeunes filles ne sont pas voilées, mais, à notre arrivée elles font mine de se cacher le bas du visage d'un coin du foulard qui couvre leurs cheveux coiffés en longues tresses qui tombent jusqu'à leurs reins. Nous sommes surpris de l'intense  blondeur de certaines chevelures. Ce réflexe de pudeur ou de timidité ne les empêche pas d'exprimer par des regards et des sourires malicieux le plaisir ressenti à l'hommage silencieux que les soldats rendent à leur féminité. Elles ne semblent pas comprendre le français. A nos propos, elles répondent par des éclats de rire et tiennent entre elles de long conciliabules, dont nous devons faire les frais.

 

Combien de silencieuses, platoniques et éphémères idylles durent se nouer autour de cette merveilleuse fontaine ? Jamais un geste indécent, jamais une parole désobligeante ou grossière n'est proférée par l'un de nous. L'harmonie et la sérénité dégagées  par ce lieu magique semble inciter à la sagesse. Ou bien plus prosaïquement s'agit-il de respecter les ordres très stricts du lieutenant !

 

Pourtant, il me plaît de penser que la beauté du site ,les jeunes filles Kabyles aux yeux charmeurs, dans leurs longues robes aux vives couleurs sous lesquelles se dessinent des corps magnifiques, leurs rires, celui des enfants, la musique apaisante de l'eau ruisselant dans le grand bassin, le soleil si chaud et si lumineux sont les seules causes de cette attitude..

 

En dehors des rares permissions de sorties au village, lorsque nous ne sommes pas en opération, patrouilles ou ratissage, les journées  se passent en gardes et en corvées. Beaucoup d'entre nous occupent leur temps libre à jouer aux cartes. Après de multiples et infructueuses tentatives pour me faire participer à leurs interminables parties de belote et à mon entière satisfaction, on cesse de me solliciter.

 

Je peux alors passer une partie de mon temps libre à lire ou à visiter les différents postes de garde. Placés à des points stratégiques du camp, ils offrent presque tous de magnifiques points de vue sur les splendides paysages qui nous entourent.

Mais mon poste de garde préféré est le " Piton " ! Evoquant la proue d'un navire surplombant l'océan, il fait face à la magnifique vallée qui plonge, vers la mer Méditerranée, en pentes douces et ondulées, couvertes d'une luxuriante végétation. J'aime, dans une totale solitude, y passer les deux heures de ma garde. Particulièrement aux premières heures de l'après-midi, lorsque le soleil est à son zénith. Sous cette intense chaleur, l'air vibrant en vagues ondulantes, recompose la lumière    et le paysage devient incertain, fantasmagorique, comme dans un rêve. La forte exhalaison de la végétation, dominée par l'odeur suave des figuiers, me parvient avec une enivrante intensité.

 

Plus bas, au pied de l'Imouline- taourt, dans une modeste mechta clôturée par une épaisse ceinture de figuiers de barbarie aux épines acérées , une vieille femme s'affaire à d'obscures travaux. Quelques mourons tournent inlassablement dans une cour caillouteuse, à la recherche d'une herbe inexistante. Un bourricot attaché près de la porte tire sur sa longe cherchant  à se libérer, afin de participer à la récolte de l'herbe fantôme. De temps en temps, d'un bruyant braiment, il vient troubler le silence dans lequel toute chose repose.

 

Cette douce torpeur me plonge dans un état de sérénité que je n'ai éprouvé nulle part ailleurs, malgré la présence du fusil et la vigilence à laquelle je suis tenu, tant pour ma sécurité que pour celle de mes camarades.

 

Ce piton est un lieu enchanté et je remercie le ciel de l'avoir placé dans l'univers de violence de ce camp pour me permettre d'y passer ces merveilleux instants.Encore aujourd'hui, après toutes ces années, le souvenir de ma communion avec cette nature enchanteresse m'est d'un grand réconfort certains jours de grisailles.

Peut-être une vision merveilleuse et fugitive du paradis m'a-t-elle été offerte !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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