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La Dar el Kef - Alger 1963


Zanoni

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Edifiée à l'orée du petit bois naïvement ou prétentieusement baptisé "Bois de Boulogne", la tour Dar el Kef jetait un regard amoureux sur la splendide baie d'Alger. C'est sur l'emplacement de l'ancienne villa mauresque éponyme que le célèbre cabinet d'architectes "Daure et Beri" construisit cet immeuble à la fin des années 1950.

Dans l'ancienne demeure, Paul Robert débuta la rédaction de son dictionnaire encyclopédique "le Petit Robert". De cet ancien domaine , il ne restait plus qu'un vieux bâtiment aujourd'hui occupé par la conciergerie de la tour.

 

Une grande partie des jardins et du parc à été sacrifiée pour l'aménagement des parkings indispensables au nouvel habitat. Les quelques magnifiques arbres subsistants laissaient imaginer le charme de ce lieu en d'autres temps.

 

Quatre entrées donnaient accès à un cercle parfait, doté en son centre d'un monumental escalier en colimaçon. Aidé de trois ascenseurs et d'un monte charge, il s'élevait sur les vingt-et-un étages de l'immeuble. Disposés autour de ce cercle comme des portions de fromage sur cet immense camembert, chaque palier comportait quatre appartements de trois et six pièces.

Cette disposition conférait aux intérieurs des logements, une originalité et un charme tout à fait particuliers.

 

Situé au quatorzième étage, le logement que nous occupions donnait directement sur la ville, avec la Méditerranée pour unique horizon. Alger étant construite en amphithéâtre, notre vue n'était limitée à l'ouest que par la crête des murs ocre et blancs du flan est de la Casbah. Caché à nos yeux par la vieille ville turque grouillante de vie, s'étendait le quartier populaire et folklorique de Bab el Oued. A l'est, sous certaines conditions atmosphériques, nous pouvions apercevoir la ligne ondulante et sombre des montagnes Kabyles du Djurjura. La ville  dévalait au pied de la tour et plongeait vers la mer en une cascade de maisons blanches, où se mariaient terrasses  et toits de tuiles  rouges. Au premier plan, les magnifiques villas  mauresques nous dévoilaient leurs jardins richement fleuris. Sur la plus proche et également l'une des plus belles, flottait dans un ciel azuréen le drapeau blanc et bleu de l'Ambassade de Finlande.

Puis il y avait les bâtiments modernes du lycée français " Descartes ", l'immeuble de la radiotélévision algérienne, les jardins de l'Hôtel Saint-Georges et l'imposante masse de l'hôtel

Aurassi. Au bas du quartier Saint-Eugène, l'Amirauté et l'incessant ballet de ses voiles blanches en luttes continuelles avec le vent. A l'horizon, la noria de ferries en provenance de Marseille et de Port Vendres; Plus à l'est, le vivant et bruyant quartier de Belcourt qui a vu naître et vivre Albert Camus. Les premiers arbres du jardin d'essai, le tracé de la route moutonnière...Comme des rideaux ouverts sur la scène d'un vase théâtre, les baies de notre appartement nous offraient journellement ce spectacle magnifique et permanent.

 

Quand venait la nuit et que le soleil, épuisé par sa longue cour à Alger, se couchait dans le lit bleu de la Méditerranée, l'éclat de ses ultimes rayons illuminaient les murs de notre chambre.

Le matin, depuis les montagnes Kabyles, où il cachait ses nuits, il réveillait la cité par la chaleur et la lumière, dont il caressait amoureusement les murs blancs des maisons.

 

La fenêtre de notre chambre s'ouvrait sur les premiers arbres du bois de Boulogne. Notre réveil matinal était bercé par le bruissement des feuilles dans lesquelles venaient piailler une multitude d'oiseaux.

 

Le climat d'Alger était doux et les chaleurs excessives n'étaient dues qu'aux rares attaques du Sirocco. Alger était protégée de de violent vent du désert qui recouvrait tout d'une fine poussière ocre et faisait grimper la température à des sommets insupportables. J'ai eu à subir cette situation, à Ghardaïa, enfermé tout le jour dans ma chambre d'hôtel . Dehors la vue était inexistante. La ville n'était plus qu'un grondant nuage de poussière rouge.

 

Bien que le soleil fût sa condition naturelle, il pleuvait parfois à Alger, et fort heureusement. C'était une pluie qui ne persistait pas durant des jours, mais qui pouvait, dans sa brièveté, être violente et dévastatrice. Comme toutes les villes de grand soleil, Alger s'accommodait  mal d'un ciel gris. Sous ce manteau qui n'était pas taillé pour elle, elle devenait triste et sale, presque lugubre, même dans ses beaux quartiers. Puis la lumière revenait, les ombres jouaient sur les choses les plus laides et tout s'enveloppait de clarté. Tout à nouveau chantait et devenait beau.

 

Malgré son habitat de rêve, la tour n'était pas exclue des problèmes de désorganisation résultant  de l'exode massif de la population européenne. Si nous ne subissions pas les coupures d'eau et leur rétablissement sans préavis qui transformaient les façades des immeubles en mini-chutes du Niagara, nous ne pouvions échapper aux pannes d'ascenseurs. Malgré sa construction récente, la tour ne pouvait se soustraire à ce fléau. Par manque de pièces détachées et de main-d'oeuvre qualifiée, les ascenseurs restaient en panne pendant des jours et  parfois des semaines.

Dans de nombreux immeubles, laissés vacants par le départ des " pieds noirs " er occupés par une population venue du bled, ils ont été irrémédiablement détruits.

 

A Dar el Kef, des réparations de fortune leur assuraient un fonctionnement épisodique et aléatoire. Devant les portes hermétiquement closes de ces machines récalcitrantes, nous nous retrouvions journellement à cinq ou six" passagers" plus ou moins patients. A partir d'un certain nombre d'étages à gravir, nous préférions attendre quelques minutes le miracle qui nous épargnerait cette pénible ascension.

 

Certes, l'escalier était beau  ! Ses larges marches blanches et sa belle rampe rouge recouverte d'une matière plastique brillante et douce incitaient à le suivre dans sa progression, mais, malgré cet indéniable charme, beaucoup hésitaient à entreprendre l'ascension de cet Everest au sommet duquel aucune gloire ne vous attendait.

 

Les habitants des étages inférieurs s'engouffraient dans l'escalier en nous regardant d'un sourire goguenard qui semblait  nous dire :  " Vous avez la plus belle vue sur la baie, vous ne pouvez pas tout avoir ! "

 

Les plus agités ou les plus impatients pianotaient nerveusement sur les boutons de commande. Sans doute espéraient-ils inciter la machine à assurer le service pour lequel elle avait été conçue. Il arrivait, en effet, que l'une ou l'autre d'entre elles veuille bien assurer deux ou trois allers-retours  avant de se rendormir. Alors, sans véritable bousculade, car nous étions entre gens polis, mais avec subtilité, chacun tentait de profiter du miracle. Les plus timides ou les plus prudents restaient à la porte d'un ascenseur qui, trop souvent, partait en surcharge. Il lui arrivait de s'endormir brusquement entre deux étages. Il fallait alors patienter dix ou quinze minutes pour que notre aimable et vigilant concierge puisse nous délivrer. 

 

Lorsque nous avons aménager à Dar el Kef en janvier 1963, la France avait encore des troupes militaires en stationnement à Alger. Le parking  supérieur faisait face à la caserne Arnault de Vitrolle. C'est sur l'emplacement de ce casernement devant lequel nous passions pour nous rendre à pied faire nos achats à l'unique "Supermarché " de Birmendreis ( aujourd'hui, Bir Mourad Raïs ) que le Palais présidentiel a été édifié, dans les années 2000. Je n'ai pas revu ce quartier depuis presque trente ans !  Je suppose que toutes ces modifications, si elles l'ont   modernisé, ont dû nuire gravement au charme qui était le sien dans les années soixante.

 

Qu'est devenu le Supermarché qui n'avait sur ses étagères que des boites de jus de tomate importées de je ne sais quel pays de l'Est ? Et ce petit marchand de légumes installé dans un passage étroit entre deux immeubles ? Il glissait subrepticement un ou deux kilos de pomme de terre dans le couffin de mon épouse. Oui ! à cette époque, les pommes de terre valaient de l'or à Alger ! Le marchant de légumes qui ne vous connaissait pas exigeait l'achat de quelques kilos de courgettes ou d'autres légumes pour vous faire le "cher" cadeau de quelques patates. Et il n'était pas question de discuter un prix qui d'ailleurs ne vous était pas annoncé.

 

Qu'est-il devenu notre petit marchand de légumes avec sa gandoura qui avait été blanche et son chèche rouge enfoncé jusqu'aux oreilles. Toujours aimable-pas une amabilité feinte de commerçant : il aurait fallu qu'il soit bon comédien pour savoir composer ce franc et lumineux sourire. Si mon épouse avait oublié son porte-monnaie  ou avait acheté trop de boite de tomate au supermarché, je l'entendais lui dire : " Ne t'en fais pas ma fille, tu me paieras la prochaine fois."

Il était  vieux notre petit marchand de légumes. Il est morts aujourd'hui mais pas dans mon souvenir.

Hier! il y a plus de cinquante ans. Quelques instants, quelques grains de vie !                                

 

 

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