Ria d'Etel

[Papy Adgio]

Je suis né en novembre. Je suis donc de l’eau.

 

Jusque-là, j’étais du fleuve. J’étais du monstre roi, unique, majestueux, souverain, envahisseur, injuste.

J’étais de l’ogre helvète qui, parvenu chez nous, dévorait la plaine durant la saison de ses orgies saturnales.

J’étais du saule aux aguets dans la lône. J’étais du cyprès-chauve attentif les pieds arrimés à l’étang.

 

Du printemps à l’automne, j’imaginais ses voyages. Je songeais à son port, immense, en eaux profondes.

 

Jusqu’à ce mois de mars maléfique où un virus barbare nous cloua à l’intérieur de nous-mêmes.

Jusqu’à ce mois de mars où je renaissais près de l’océan.

Jusqu’à ce mois de mars où je musardais, les yeux dans la ria.

 

Indifférente à ma présence, la ria se faisait tantôt affable tantôt amère.

 

A marée montante, elle est une bouteille qui se remplit des babils, des chants, des trésors de la mer. A son goulot, sous le pont Lorois, galopent les arpèges des guitares de Galice et les lourdes bordées des pêcheurs de pouces-pieds ibériques.

 

A marée descendante, la ria rend à l’océan les rimes retenues par les bardes égarés dans les landes de Landévant. Elle offre aux voyages lointains les vers serinés par sainte Brigitte dévidant sa quenouille sur les lec’h de Locoal-Mendon.

 

Dérivant sur un banc face à un cormoran piscivore, je larguais chaque jour mes amarres et je planais longtemps au gré de mes vents nouveaux. Le confinement ne m’était d’aucune peine. Je le vivais depuis si longtemps…

 

Seul et serein dans le brise je me répétais des vers imités de ceux de Baudelaire : « Exilé volontaire loin des huées mes ailes de géant m’aidaient enfin à voyager… »

 

La Quenouille de Sainte Brigitte au fond de la ria d'Etel - Photo Serge Campagna