Jadis aujourd'hui encore

[Jean Luc]

Jadis les montagnes priaient. L'insouciance et le bonheur avaient de l'imagination et ne craignaient rien. Les blés rougeoyaient dans l'aube farouche, où le raisin sauvage et indompté ouvrait l'appétit aux êtres immortels que nous étions avant le Péché originel. Tranquillement le jour fumait le soleil comme une cigarette, et chaque nuit plongeait notre esprit dans un insouciant sommeil au cœur d'un paradis terrestre, où jaunissait la fleur de genêt quand reculait la peur de l'autre.

Mais deux regards nus comme un désert, celui d'Adam et celui d'Êve, avec celui d'un serpent insaisissable aussi, allaient changer l'histoire, ouvrant le futur d'un coup de dents, le présent roulant à nos pieds comme une pomme. Alors ils furent libres de leur destinée, sans ordres à exécuter, totalement indépendants vis à vis de Dieu. « Nés idiots devions-nous mourir idiots ? » disaient-ils. « Nous voulons frémir et sentir le temps qui passe au plus près de nous ! » disaient-ils sans cesse. « Allons ! le vice est l'antidote contre vos mauvaises journées ! » disait le serpent se déroulant vers l'Êve frémissante.

Ivres de plaisir du matin jusqu'à la fin du jour, les hommes et les femmes durent apprendre à vivre par leur propre moyen, avec désormais la mort au bout de la route en guise de punition. Car cette larme empoisonnée qu'elle est, est une vengeance du juste retour des choses. Ils vêtirent leur nudité dévoilée, et soufflèrent un bon coup. Ils oublièrent leur passé, qui s'envola comme poudre au vent. La mort ne tolère, quant à elle, aucun oubli, car elle est la sœur des peines à venir. Et elle commença son incessante cueillette, un panier invisible et sans fond en guise de sombre accessoire du destin...