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Janin, le fada


Joailes

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Janin avait plein de petites idées. 

 Il voulait acheter un voilier,  une péniche, un phaëton ou une caravane ;  une vieille ferme dans le Larzac, une chèvre, des poules, quelques hectares de terrain en friche et d'autres, chargés d'arbres fruitiers comme des édens ; il rêvait parfois de jouer à la triche, au poker dans le désert du Sahara, de rencontrer une fille qui s'appellerait Sara avec une robe verte comme un aloè vera – ou pas - et des yeux jaunes ; 

avec ses instruments, son chameau et ses pantoufles en poil d'oasis au parfum d'anis, il avait fière allure dans le village qui n'en finissait plus d'imiter la ville ;  souvent, il parlait d'un lac avec des cygnes, c'est là que ses yeux brillaient le plus, la fille s'appellerait Agathe et elle a des yeux jaspés ; il la voyait sur quelque nuage marbré, comme une fée. 

Elle effleurait nos têtes dans un parfum de jasmin et elle éteignait la télé, puis elle préparait du thé dans sa robe de mousseline si pâle et nous ne bougions plus, de peur de la voir disparaître. 

Janin agitait ses mains et nous voyions des choses , des mers, des champs, des déserts, des orchestres, des îles ;  d'immenses oiseaux nomades qui avalaient des couchers de soleil à tire-d'ailes pour chanter chaque seconde leur liberté en joignant leurs ailes sur la carte du ciel.

On a pleuré les flamants roses qu'on ne croise qu'une fois. 

On se sentait si petits dans les rêves de Janin.

Quand on voyait sa petite cabane qui ressemblait à un dé à six faces, on se demandait où il dormait - mais peut-être ne dormait-il jamais ?  – et puis on comprenait que c'était la maison d'un géant ; c'est nous qui étions minuscules à travers nos miroirs, cassés parfois, avec des sept ans de malheurs qui durent, collés à nos bottes de sept lieues. 

Bien sûr son lit, c'était toutes ces étendues, ces hautes herbes qui caressaient son front comme pour en chasser les idées noires, ce foin dans les granges où s'ébattaient les mésanges. 

Il chantait tout le temps et arrosait ses fleurs sur son balcon, à ciel plongeant sur les étoiles de l'univers ;  il avait une main très verte, avec son coeur dessus, c'était joli comme tout, surtout

les soirs d'automne où tout rougit, comme des amoureux qui échangent leurs yeux ;  il jouait du luth en absorbant la mélancolie comme le soleil avale la brume ... 

Il vivait de rien, de tout, et nous qui n'avions rien, buvions à ses lèvres le nectar de ses rêves. 

 

Un jour, quelqu'un qui ne l'avait pas compris, lui apporta des soucis.

Il les porta sur la tombe de Sara en sautant à pieds joints sur les tiges ; il riait, elles se muèrent en jacarandas avec plein d'aras qui rient, multicolores, sur un coucher de soleil d'or. 

Il embrassa Agathe qui l'attendait au désert des Carpates, et lui porta des tomates. 

Il n'inventait rien tout poussait dans son grand jardin. 

Il posait toutes ses petites idées sur un gros cahier, chaque soir ; elles s'y incrustaient à fleur de marge, comme des sculptures sur des marécages,  elles devenaient immenses comme des

statues dans un champ de bonsaïs. 

Il était sage, Janin, notre grand petit fada.

 

Janin était nain, mais il avait plein de grandes idées, il voulait aller en Amérique, à Tombouctou ou à Trifouillis-les-oies dont il avait entendu parler dans sa tête ; il préparait son sac à chaque fois,  nous on savait qu'il ne partirait pas, mais on jouait le jeu, on s'habillait comme des fadas* et on faisait la fête des nuits entières pour lui souhaiter bon voyage, il était content et nous aussi, on l'aimait tant !

Au matin, chacun pensait avoir voyagé avec lui, sans savoir exactement où. 

Janin, un soir, a réuni ses valises pleines de vide, a arrosé ses fleurs, en agitant son petit mouchoir ; il a lancé son gros cahier de toutes ses forces vers les étoiles, en visant le berger.

Il souriait de lumière au milieu des moutons et des ourses avec un grand drap noir sur ses épaules. 

Il fredonnait, je frissonnais. 

Nous l'avons vu passer sur son bateau, avec sa chèvre, ses poules, son chameau, ses pantoufles en poil d'oasis,  ses moutons, ses ourses et son énorme chat "Petit pois" qui avait adopté 

son cerveau depuis tout petit ;  il était si grand !  

Personne n'a su quelle destination il avait finalement choisie.

A Trifouillis-les-oies, on a érigé une stèle.

Immense.

Elle est toujours envahie d'oiseaux.

Certains viennent de loin, peut-être d'Amérique ou de Tombouctou ou bien d'une vieille ferme dans le Larzac, ou peut-être d'à-côté, sur la terre du milieu où les oiseaux nomades se posent

pour boire et manger avant que de repartir. 

Ils attendent tous, de la terre à la lune, que tu leur fasses un signe.

J'ai découvert ton dernier secret, Janin. 

J'ai récupéré ton livre dans la boîte d'allumettes.

Dernier tableau.

Nous voici sur le lac avec tous les oiseaux ... 

Suis-je morte  ? 

 

(J.E. Septembre 2020)

 

* Le terme « fada » viendrait, dit-on, du provençal, où il qualifie celui qui est touché par les fées. Il serait issu du latin « fàda » et par de là de l’occitan « fado » qui était la déesse de la destinée.

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