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Folie douce


hersen

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C’était un soir comme les autres. Je regardais les herbes se coucher sous le vent, j’écoutais le chant des oiseaux. Je me repaissais de la paix du lieu.

 

Un nuage de poussière a attiré mon attention, un nuage léger, un nuage de visite. Le soleil entreprenant déjà son coucher, j’ai mis ma main en visière pour n’être pas éblouie par son feu. Et c’est éclairée de ces tons orangés de fin de jour que j’ai vu une silhouette.

Sa silhouette.

Avait-elle changé ? Oui, sans doute, mais je l’aurais reconnue entre mille, malgré mille changements dont je n’ai rien voulu savoir à ce moment. La joie est égoïste. La joie est aveugle.

 

Le nuage s’est assoupi et nous avons été face à face au milieu du chemin. Il m’a dit, bonsoir, comment vas-tu ? Nous nous sommes étreints. Nous nous retrouvions en un instant.

J’ai dit, ça va, je suis toujours là, à vivre à ma manière. Il a souri, parce que son truc c’est ça, sourire. Quoi qu’on dise, quoi qu’il arrive, sourire, parce que la vie vaut de sourire et rien, pour lui, n’est si important qu’il faille s’en priver. Puis il a même ri un peu, tout doucement, il a ri des yeux et il a dit, oui, je sais, tu es toujours là, à vivre à ta manière. C’est pour ça que je t’aime. Que je viens.

 

Je lui ai donné la main, nos mains mêlées qui nous ont tant apporté, ces mains qui ont mêlé nos âmes depuis toujours, et nous sommes arrivés sur la terrasse. Il a posé son sac, un sac de voyage si léger, si usé. Et il en avait aussi un autre. Comme toujours quand il venait. Un sac mouillé, plein de glace qu’il avait dû acheter à la station service, pour maintenir le contenu au frais. Sans l’ouvrir, j’ai levé les yeux vers lui, interrogative.

 

Des gambas, a-t-il répondu à mon regard.

 

Des gambas ? C’était la première fois ! D’habitude, c’était des choses plus simples, qui ne demandent pas de préparation. Qu’il avait produites lui-même. On partait dans le champ d’à côté, on s’asseyait et on mangeait, de la viande séchée ou des cornichons avec un bout de fromage durci, c’était toujours signifiant, ces cadeaux partagés ; il m’offrait une part de son temps passé loin de moi. Aujourd’hui, des gambas ? J’ai eu un mauvais pressentiment. C’est trop cher pour lui, c’est trop compliqué à préparer. Alors j’ai pensé qu’il allait rester, cette fois, un peu plus longtemps. Qu’il était fatigué d’être sur les chemins.

 

Nous avons préparé les crustacés, il a été se promener dans le jardin cueillir des herbes, des tomates, des citrons. Toujours il souriait, et moi j’avais le cœur serré, plus il souriait plus mon cœur se serrait.

J’ai compris bien avant qu’il n’évoque.

 

Quand le plat fut prêt, je lui ai dit, attends, je suis sûre que j’ai une bouteille. Alors il a caressé le chat pendant que je farfouillais dans le désordre de l’armazem qui m’était habituel. Il savait que je savais, et quand je suis revenue, brandissant une bouteille poussiéreuse, criant, je l’ai, j’étais sûre de la retrouver ! il ne m’a pas demandé si c’était un grand cru, il a bien compris que cette bouteille sans étiquette avait une valeur de don, de trace d’un passage, d’un ami ou d’un voisin.

 

Dans un panier, les gambas et la bouteille.

 

Nous nous sommes assis dans le champ, la nuit était maintenant illuminée d’étoiles. Nous avons mangé ces gambas de là-bas et nous avons bu ce vin d’ici. Il n’a pas beaucoup parlé. Moi si. J’ai parlé de tout, de rien, gaiement. Un ton aussi léger que ce vin d’ici. Parce que parler pour ne rien dire aide à occulter.

 

Puis il m’a interrompue, doucement, avec toute cette douceur du monde dont il avait le secret, il m’a dit, je suis désolé.

 

Dans la nuit si douce, mon ami m’a dit, le seul ami que j’aie jamais eu, celui qui venait du bout du chemin en levant un léger nuage de poussière, il m’a dit, cet ami, je suis désolé, parce que je ne reviendrai plus, j’arrive au bout de mon chemin.

 

En silence, nous avons mangé d’autres gambas et bu un peu plus de vin sous le regard lumineux des étoiles.

 

 

 

                                                                                                                                                         *

 

 

Le champ est si grand maintenant. Des hectares de vide m’entourent. Et pourtant, c’est au milieu de cette prairie semée de noir que j’aime venir m’asseoir, à la nuit tombée. Pour te retrouver. Je parle à la nuit, de tout et de rien, gaiement. Et les étoiles envoûtées se rassemblent, pour moi elles décomposent leurs constellations savantes et se pressent les unes contre les autres pour ne rien rater du spectacle, les petites devant et les grandes derrière. Elles allument leurs feux, les dirigent sur la scène où je suis debout, où je suis brave. On entend des chuuuut, ça va commencer, et je raconte, je raconte, je te raconte dans ce halo de poussière de lumière.

 

Quand le one soul show est fini, je m’écroule dans l’herbe rafraîchie par la nuit et j’attends en dormant que le bleu soleil éclate au bout du chemin, ce soleil familier qui coule mes jours.

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